LA TACA TACA TIQUE DU BÉGAIEMENT
LA
TACA
TACA
TIQUE
DU
BÉGAIEMENT
Table des matières
– Introduction
– Avant-propos
– Quelques notions de mouvement et de rythme
– Rythmes de la répétition et du bégaiement
1 Le bégaiement-handicap
a Expériences
b Le mouvement en boucle
c Le faux rythme
d La production d’échecs
e De l’échec au burlesque
f De l’échec à linfini
2 Le bégaiement-déclencheur
a Expériences
b Le mouvement tendu
c Le rythme impulsif
d La production d’énergie
e La production d’une énergie communicante
3 Le bégaiement-structurant
a Expériences
b Le mouvement à échelons
c Le rythme fractionné
d La production d’un système structurant
e Le bégaiement structurant comme système créatif
4 Le bégaiement-hésitant
a Expériences
b Le mouvement hésitant
c Le rythme décalé
d La recherche de stabilité
e Un présent étiré
5 Le bégaiement-efficace
a Expériences
b Le mouvement additif
c Le rythme successif
d La production d’efficacité
e De l’efficacité à la justesse
6 La répétition-impulsive
a Expériences
b Le mouvement impulsif
c Le rythme aléatoire
d L’évacuation d’énergie
e De la pulsion mécanique à la pulsion numérique
– Répétition générale
– Bibliographie
Introduction
Le bégaiement comme trouble du langage se manifeste par des accidents dans le déroulement de la parole (répétition d’une syllabe, prolongement d’un son, hésitation, blocages). C’est également un trouble de la communication. Le bègue a en effet des difficultés à échanger avec autrui, il perd le contact avec son interlocuteur. Cependant, le bégaiement ne se manifeste pas quand le bègue chante ou interprète un rôle. Les acteurs Louis Jouvet ou Bruce Willis sont bègues par exemple. Plus qu’une maladie, le bégaiement est un véritable handicap social. Il provoque souvent le rire, la gêne, le rejet. Les personnes qui en souffrent restent isolées. Le bégaiement touche 600 000 personnes en France, soit 1 % de la population. Il existe aussi bien chez l’enfant que chez l’adulte. Chez l’enfant, il apparaît généralement entre trois et cinq ans et est lié à l’apprentissage de la parole. L’enfant, à ce stade, cherche la coordination des articulateurs du langage (entre phonèmes et syllabes), il fait l’expérience du rythme du langage en même temps que se développe son système nerveux central. Les mots tels que dodo, dada, pipi, papa, tonton, bobo, découlent de cette période bégayante de l’enfance. Selon des facteurs liés à l’individu (facteurs neurophysiologiques, troubles moteurs), à l’environnement (familial, scolaire), ou à des évènements traumatisants, le bégaiement peut persister. Il peut également se former chez l’adulte à la suite d’un choc psychologique (mort d’un proche, peurs froides, accident, angoisses répétées…). Il n’existe aujourd’hui aucun accord scientifique sur les origines du bégaiement, ni aucune théorie universellement reconnue. Selon leurs disciplines, certains experts privilégient le plan moteur, d’autres l’aspect comportemental ou psychologique.
Dans le bégaiement on note toutefois les perturbations verbales suivantes :
-Le blocage : bloquer avant de commencer un mot, « Je mange une… pomme ».
-Les répétitions de sons : répéter la syllabe, le mot ou la phrase en entier, « Je, je, je, je mange une pomme », « Je man, man, man, mange une pomme », « Je mange une pomme, je mange une pomme ». -L’hésitation : hésiter sur la première lettre d’un mot, « j, j, j, j, j, je mange une pomme ».
-Les pauses : prendre un temps de pause entre chaque mot prononcé, « je…/mange…/une pomme ».
-Les prolongations : prononcer une syllabe de façon prolongée, « Je..e..e..e mange une po..o..omme ».
Par extension, le mot bégaiement prend au figuré le sens d’une redite maladroite et hésitante de certaines choses : « Le bégaiement d’une science nouvelle » par exemple. C’est une forme de la répétition : « si l’histoire ne se répète jamais, il arrive qu’elle bégaie avec insistance ». Dans Différence et répétition, le philosophe Gilles Deleuze analyse deux types de répétitions. La première est répétition du même, porter la première fois à la même puissance. C’est le principe du papier peint ; un motif se trouve reproduit sous un concept identique.
La seconde est celle qui comprend la différence, c’est le cas des homonymes, « saint, sain, sein, seing, ceint », le son est identique mais le sens diffère. C’est également le cas du bégaiement. La répétition y est hésitante, ralentie, saccadée, inversée. C’est une répétition désarticulée avec un rythme déréglé qui entraîne des ruptures. Toujours selon Deleuze, « l’une est d’égalité, de commensurabilité, de symétrie ; l’autre, fondée sur l’inégal, l’incommensurable ou le dissymétrique. L’une est l’exactitude, l’autre a pour critère l’authenticité. L’une est répétition dans l’effet, l’autre dans la cause. L’une est négative par défaut du concept, l’autre, affirmative, par l’excès d’idée. L’une est statique, l’autre dynamique. L’une, en extension, l’autre intensive. L’une ordinaire, l’autre remarquable et singulière. L’une est développée, expliquée ; l’autre est enveloppée, et doit être interprétée* ». Ces deux formes de bégaiement – pathologie et concept – sont les points de départ de cette étude. À partir de ces critères, j’ai cherché des objets, des situations, des gestes, des mouvements au quotidien pouvant relever du bégaiement. Inspiré par la chronophotographie, qui a permis d’étudier précisément les mouvements successifs du corps humain, j’ai photographié en rafale tous les éléments supposés bégayés au sein de leur environnement (mouvement répétitif raté, saccadé, hésitant). J’ai obtenu une série d’une trentaine de séquences photographiées, animées ensuite par ordinateur. Cette base d’expériences simples m’a permis de hiérarchiser, de décomposer et d’analyser des typologies de bégaiement. J’ai organisé les courtes séquences vidéo réalisées à partir de ces photogrammes selon leurs mouvements, leurs rythmes récurrents, leurs chutes. J’ai dégagé de ces expériences six familles de répétitions bégayantes : un bégaiement-handicap (système qui échoue), un bégaiement-déclencheur (système de production énergétique), un bégaiement-structurant (système d’organisation), un bégaiement-hésitant (système qui cherche à se stabiliser), un bégaiement-efficace (système qui accumule les petits profits), un bégaiement-convulsif (système d’évacuation énergétique). Pour chaque type de bégaiement, j’ai tenté de décrire son mouvement, son rythme, ses conséquences, ses possibles applications…
Revenir, refaire, rater, recommencer, est un processus propre au mode créatif qu’on peut observer dans le cinéma, la littérature, la poésie ou la musique. Mon intention en entreprenant cette étude est de montrer comment le bégaiement devient un principe capable de produire du sens et des formes. Un langage propre s’y trouve simultanément déconstruit et recomposé. Dans ces domaines, le bégaiement n’est pas utilisé comme un handicap qui conduirait au silence, mais au contraire comme un processus d’expression, de révélation, de construction : un processus créatif.
* Gilles Deleuze, Différence et répétition, Paris, Puf, 1968, p. 36.
Avant-propos
Pour l’historien Siegfried Giedion*, « Nos pensées et nos sentiments dans leurs moindres ramifications sont régis par le concept de mouvement. C’est-à-dire la mutation sous toutes ses formes. » Le mouvement est un changement incessant. Au XIVe siècle, Nicolas Oresme (1320-1382), évêque de Lisieux, a permis de comprendre la nature de la vitesse et de l’accélération par des méthodes graphiques. Le mouvement était représenté à travers le temps, la vitesse et l’accélération. Nicolas Oresme obtenait ainsi des courbes représentant les variations de position d’un point au sein du mouvement. À la fin du XXe siècle, le physiologiste français Étienne-Jules Marey (1830-1904) va, grâce à la chronophotographie étudier, mesurer et dessiner toutes les formes de mouvements : le vol d’un oiseau, la course d’un cheval, la chute d’un chat, le flux sanguin, les gestes des sportifs, une balle traversant une bulle de savon, les mouvements de la fumée. Des systèmes vont rendre visibles les véritables formes des mouvements. Selon Marey « Le mouvement échappe à l’œil ». Ces recherches vont lui permettre de comprendre et de visualiser les caractères dimensionnels du mouvement. Dans notre étude, le mouvement va nous permettre de définir la nature de la répétition dans chaque famille de bégaiement. Nous observerons la vitesse et la trajectoire de l’ensemble des positions occupées par un point mobile au cours d’un mouvement. Tous les traitements de rééducation du bégaiement visent à réguler le rythme du langage. Évaluer le rythme du bégaiement nous permettra de comprendre la nature des déséquilibres, des ruptures et des hésitations pour chacune des familles observées.
* Siegfried Giedion, La mécanisation au pouvoir, Paris, Bibliothèque médiations, Denoël Gonthier, 1980, p. 43.
Un système de schémas nous aidera à décrire ces rythmes particuliers.
– Le rythme dans la répétition
Le rythme d’une répétition régulière renferme trois notions : le temps, l’action et son accomplissement. Le temps est une succession d’instants dont la structure est parfaitement régulière. L’action est un événement, un acte qui s’exprime dans le temps, son accomplissement a lieu à un instant précis.
– Le rythme d’une répétition régulière
Quand l’action coïncide exactement avec l’instant, l’acte est accompli. Le rythme d’une répétition régulière est une suite d’instants durant laquelle se produit une série d’actes identiques. Si le geste d’émission est réalisé au bon moment, il y a une forte décharge d’énergie, c’est un temps fort. La décharge d’énergie correspond à une émission lisible.
– Le rythme d’une répétition irrégulière : le bégaiement accomplissement
Si le geste d’émission s’accomplit à un instant décalé, il y a une faible décharge d’énergie, c’est un temps faible. Le bégaiement est un mouvement où l’instant et l’accomplissement d’un acte ne coïncident pas.
1 Le bégaiement-handicap
A Expériences
Les agrafes ne mordent qu’en partie le papier.
Le briquet n’émet que des étincelles, pas de flamme.
La voiture ne démarre pas au premier tour de clé
L’encre du stylo à bille coule irrégulièrement.
B Le mouvement en boucle
Le mouvement forme des boucles (les loopings en anglais ). Il répète de façon irrégulière la même action. À chaque essai, on revient au point de départ. Il est infini, ne s’arrête sur rien.
Le mouvement revient sur lui-même.
C Le faux rythme
Rythme qui produit de faibles décharges énergétiques.
Le mouvement fonctionne sur un faux rythme, il semble dynamique mais ne l’est pas. C’est la rapidité des pulsions qui simule le dynamisme. La grande fréquence de chaque à-coup imite la progression et la production d’énergie. C’est un rythme rapide divisé en petits à-coups répétés sans interruption qui ne laisse aucun temps de pause.12312312312312312 3123123123. Au bout d’un moment, on assimile le rythme et l’on sent qu’il n’évoluera pas. Dans les séquences animées, le rythme n’est pas progressif mais extrêmement régulier : 1..2..3..1..2..3..3..1..2..3..1..2..3..1..2..3..1.. 2..3..1..2. Dans le cas d’un stylo à bille qui refuse d’écrire, on répète le même geste mécaniquement jusqu’à l’agacement. Le rythme lassant oblige à l’arrêt.
D La production d’un échec
– Le ratage
Le ratage est la conséquence d’un mauvais fonctionnement. Il provient d’un mouvement qui ne fait pas coïncider l’instant avec l’accomplissement d’un acte. L’émission d’énergie souhaitée ne fonctionne pas au moment voulu. Les actions n’arrivent jamais à leur terme. Le résultat ne coïncide pas avec l’intention. L’agrafeuse mal réglée ne peut relier les pages. Le manque de gaz ou une pierre usée empêchent le briquet de produire une flamme. Une batterie trop faible ne permet pas à une voiture de démarrer.
Dans ces différents cas, les objets sont défectueux, usés, mal réglés ou cassés. Ils ne produisent pas ce que l’on attend d’eux, fonctionnent qu’à moitié, ne produisent qu’une faible énergie, qu’une dernière étincelle de vie. Ne pas prendre en compte la panne produit ici la répétition de l’échec. Répéter un raté confirme un mauvais fonctionnement, un manque, sans pour autant apporter de solution. La répétition qui mène à l’échec est perçue comme un handicap. Celui-ci empêche l’accomplissement du mouvement, sa réalisation, sa réussite.
– L’échec, un système de protection
Sur une voiture, la fermeture automatique des portes à partir d’une clef électronique peut activer un système antivol-anti-démarrage. Si l’on n’actionne pas le déverrouillage du système, la voiture ne démarre pas. Après une dizaine de tentatives de démarrage, le voleur abandonne. On peut dire ici que l’échec protège.
E De l’échec au burlesque
– Le bégaiement et l’échec
Isabelle, jeune ouvrière dans une petite ville de province essaie de défendre ses droits de travailleuse. Elle affronte son patron. « Pour s’en sortir, elle doit trouver les mots justes, c’est difficile, son rêve est trop grand, sa poitrine et sa bouche trop petites, alors Isabelle bégaie, elle s’essouffle, Dieu l’abandonne, et ses copines rigolent*. » Le personnage du film Passion (1982), de Jean-Luc Godard, incarné par Isabelle Huppert, parle deux langues, sa langue maternelle et son bégaiement. Le handicap de cette jeune femme extériorise son désordre intérieur et l’entraîne vers l’échec. Godard oppose le langage bégayant au langage des machines, l’hésitation face à la détermination de la mécanisation. Dans l’usine, Isabelle Huppert essaie de parler, mais personne ne l’entend. Sa parole est couverte par le langage répétitif et systématique des machines. Elle n’a pas le même rythme. Dans ce monde d’oppression, Godard utilise le bégaiement comme un handicap qui freine la production et conduit à la chute.
* Jean-Luc Godard, Scénario du film Passion, JLG Films, Télévision suisse-romande, Genève, 1982.
– De l’échec au loufoque
Peter Land, Pink Space (1995).
Peter Land, artiste danois, travaille sur des séquences vidéo répétées pour présenter des situations de dégradation et d’échec. Dans Pink Space (1995), il entre sur scène comme un crooner habillé d’un costume pailleté. Au centre est placé un tabouret et une table avec une bouteille d’alcool. Tout est mis en scène pour qu’il réussisse à chanter et à danser.
Il s’assied sur le tabouret et tombe lourdement. Il fait plusieurs tentatives et retombe systématiquement. À chaque nouvel essai, il rechute, ne maîtrisant jamais la situation.
Peter Land, Step ladder blues (1995).
Dans Step Ladder Blues (1995), il monte sur un escabeau pour repeindre un plafond, mais chute inlassablement. « Quel sens prêter à l’existence lorsque l’on n’arrive pas, en tant qu’artiste, à accomplir une tâche aussi simple que de repeindre son plafond ? », s’interroge Peter Land*.
Peter Land, The Staircase (1998).
Chaque ratage lui dévoile quelques indices inédits d’une réalité qu’il aimerait toucher : « Quel but puis-je me fixer ? ». À travers ces scènes traumatisantes, Land retrouve un état de mise à nu. Il utilise ce bégaiement pour constamment se remettre en question. Dans une autre séquence, il se jette dans le vide, mais au moment de l’atterrissage, le sol recule à la même vitesse que la chute. Le bégaiement de Land crée ainsi un espace instable et sans limites, où la notion de temps croît à l’infini.
* Marc-Olivier Wahler, « Peter Land, la chute », Art Press, n° 252, décembre 1999, p. 30-33.
- Le comique de répétition
Les œuvres de Peter Land tendent vers le burlesque et le comique. Le raté continu provoque des situations décalées qui engendrent le rire. Dans le cinéma, la littérature, la bande dessinée, les gags à répétition ont été fréquemment utilisés. L’inspecteur Laumanne dessiné par Tardi se coupe le doigt avec sa guillotine à cigare. À chaque fois qu’il s’en servira, il se coupera. Dans L’affaire Tournesol, les échanges téléphoniques entre Tintin et Tryphon Tournesol tournent au dialogue de sourd : « Eh ! Tryphon, vous partez en voyage ? – Non, non, car je pars en voyage. » Ici, par le biais du comique de répétition, Hergé interroge un nouveau moyen de communication de l’époque : le téléphone. Hergé a également logé un concentré de bêtise dans les personnages des policiers Dupont et Dupond. Dupont répète systématiquement ce que dit Dupond en y ajoutant son célèbre refrain « je dirais même plus ». Le langage des Dupontd se limite à quelques clichés protocolaires qu’ils déforment systématiquement. Dans la série des Petits Nicolas de Sempé et Goscinny, le récit est construit autour de la répétition d’expressions et de situations. Les auteurs arrivent à provoquer un comique issu par la répétition de stéréotypes du langage, fidélisant ainsi les lecteurs à chaque nouvelle histoire. Dans Le petit Nicolas et les copains, le responsable de l’interview lance l’expression « C’est parti mon kiki ! ». Nicolas en déduit que le collègue se nomme « M. Kiki », et l’appellera ainsi tout au long de l’histoire.
Au cinéma, le comique de répétition est fondé sur le running gag. Ce comique peut être une répétition pure et simple ou une subtile variation de la même situation. Un des procédés les plus simples du comique de répétition est la réitération du même geste tout au long du film. Dans le film Charlot joue Carmen (1915), le personnage trébuche sur un pavé, et durant tout le film le même pavé fait trébucher le même personnage jusqu’à faire trébucher tous les autres personnages. Dans Go West (1940), un film des Marx Brothers, les personnages à l’intérieur d’une diligence intervertissent leurs chapeaux à chaque secousse. Ce gag des chapeaux se répète à chaque nouveau cahot. Dans The Cameraman (1928), Buster Keaton essaie de séduire une jeune femme dont le bureau se trouve derrière la porte d’une agence de presse. Durant tout le film, la porte heurte Keaton quand ce n’est pas lui qui la prend en pleine face.
The Cameraman, réalisateur Edward Sedgwick, avec Buster Keaton (1928)
On trouve d’autres formes de comique de répétition dans le théâtre classique. Dans Les Fourberies de Scapin de Molière, acte II scène 7, la réplique de Géronte « Que diable allait-il faire dans cette galère ? », est répétée jusqu’à sept fois. C’est une répétition d’exaspération.
Les fourberies de Scapin (1671)
Acte 2 scène7
[…]
SCAPIN. C’est à vous, Monsieur, d’aviser promptement aux moyens de sauver des fers un fils que vous aimez avec tant de tendresse.
GÉRONTE. Que diable allait-il faire dans cette galère ?
[…]
SCAPIN. La justice en pleine mer ! Vous moquez-vous des gens ?
GÉRONTE. Que diable allait-il faire dans cette galère ?
[…]
SCAPIN. Eh ! Monsieur, songez-vous à ce que vous dites ? Et vous figurez-vous que ce Turc ait si peu de sens que d’aller recevoir un misérable comme moi à la place de votre fils ?
GÉRONTE. Que diable allait-il faire dans cette galère ?
[…]
SCAPIN. Ce sont des gens qui n’entendent point de raison.
GÉRONTE. Mais que diable allait-il faire à cette galère ?
[…]
SCAPIN. En lui rendant la clef. Eh ! Monsieur, rêvez-vous ? Je n’aurais pas cent francs de tout ce que vous dites, et de plus, vous savez le peu de temps qu’on m’a donné.
GÉRONTE. Mais que diable allait-il faire dans cette galère ?
[…]
GÉRONTE. Attends, Scapin, je m’en vais quérir cette somme.
SCAPIN. Dépêchez-vous donc vite, Monsieur, je tremble que l’heure ne sonne.
GÉRONTE. N’est-ce pas quatre cents écus que tu dis ?
SCAPIN. Non, cinq cents écus.
GÉRONTE. Cinq cents écus ?
SCAPIN. Oui.
GÉRONTE. Que diable allait-il faire dans cette galère ?
SCAPIN. Vous avez raison. Mais hâtez-vous.
GÉRONTE. N’y avait-il point d’autre promenade ?
SCAPIN. Cela est vrai. Mais faites promptement.
GÉRONTE. Ah ! Maudite galère !
SCAPIN, à part. Cette galère lui tient au coeur.
[…]
GÉRONTE. Quoi ?
SCAPIN. Où est donc cet argent ?
GÉRONTE. Ne te l’ai-je pas donné ?
SCAPIN. Non, vraiment, vous l’avez remis dans votre poche.
GÉRONTE. Ah ! C’est la douleur qui me trouble l’esprit.
SCAPIN. Je le vois bien.
GÉRONTE. Que diable allait-il faire dans cette galère ? Ah ! Maudite galère ! Traître de Turc à tous les diables !
La base du comique de répétition est le gag. C’est lui qui déstabilise le récit, et qui provoque une saute de l’action, un bégaiement. Dominique Noguez, définit le gag comme « une rupture provisoire de l’ordre tranquille des choses* ». Le burlesque est nourri de gags, le déroulement du film y est incertain, et à tout moment, le récit peut être modifié. Dans les exemples que nous venons de voir, le mécanisme répétitif installe provisoirement une forme d’habitude, pour permettre ensuite de mieux rompre la situation, et faire ainsi surgir l’imprévu. L’effet de rupture associé à la surprise déclenche le rire. Dans Répétition et différence, Gilles Deleuze citant Karl Marx écrit : « la répétition est comique quant elle tourne court, c’est à dire quand, au lieu de conduire à la métamorphose et à la production du nouveau, elle forme une sorte d’assemblage de difficulté, le contraire d’une création authentique**». Le gag doit être spontané, court, et provoquer une situation de surprise.
* Dominique Noguez, préface à Adolphe Nysenholc, Charlie Chaplin ou la légende des images, Paris, Méridiens Klincksieck, 1987, p. 4.
** Gilles Deleuze, Différence et répétition, Paris, Puf, 1968, p.123.
– Le loufoque dans la production en série
Dans Les temps modernes (1935), Charlie Chaplin dénonce un monde où les ouvriers sont esclaves des machines. Charlot est ouvrier dans une usine, il serre des boulons sur une chaîne de montage. Toute la journée, il subit le rythme régulier d’une machine aux gigantesques engrenages. La machine impose son rythme mais Charlot, perturbé par une mouche, un éternuement, une démangeaison ou un outil coincé, perd le rythme et empêche la chaîne de production d’avancer correctement. Le directeur décide alors d’accélérer la production. Dépassé par le rythme trop rapide, Charlot devient fou et visse tout ce qui se présente à lui, des boutons de corsage d’une passante au nez de son contremaître. Ses mains continuent à travailler malgré lui. Dans ce film, Chaplin oppose un comique de répétition au rythme régulier d’une chaine de production. Pour le philosophe Henri Bergson, l’idée même d’une « mécanisation de la vie* » provoque le rire. Il montre que comique et répétition sont liés en soulignant le contraste entre « le mécanique et le vivant », l’équilibre et le déséquilibre, la régularité et l’instabilité, qui sont les causes initiales du rire. L’organisation scientifique du travail et la chaîne de montage fonctionnent sur la notion de coordination. Les mouvements inutiles sont éliminés pour réduire les temps d’opérations et créer un processus de production continu. Charlot y introduit hésitations, ratés, maladresses, ce qui empêche la machine de produire.
* Henri Bergson, Le rire, essai sur la signification du comique, Paris, Puf, 1995.
La répétition, l’inversion et l’interférence des séries deviennent alors des principes fonctionnels du comique. À une époque où le cinéma est en pleine mutation, Charlie Chaplin, avec Les temps modernes critique le cinéma industriel hollywoodien : « Hollywood livre en ce moment sa dernière bataille et il la perdra à moins que ces studios ne cessent de produire des films à la chaîne, à moins qu’ils ne comprennent enfin que des chefs-d’œuvre cinématographiques ne peuvent pas naître d’un travail en série, comme les tracteurs dans une machine*. » Chaplin confronte l’univers comique de Charlot et le monde industriel. Il oppose un individu en marge, un vagabond, à un monde de masse, de rentabilité, de productivité, de conquête de marchés, de standardisation.
* Catherine Saint-Martin, préface à François Beaulieu, Charlot Chaplin ou La conscience du mythe, Paris, Té Arte, 1987, p. 87.
F De la répétition à l’infini
– La répétition par l’écho
Un des effets de la répétition est de nous laisser sur une impression d’inépuisable ou d’inachèvement, avec le sentiment que ce qui s’est répété se répètera encore, indéfiniment. Dans le cinéma de Jacques Tati, rien ne semble jamais finir, tout paraît en mesure de continuer sans nous, jusqu’à nous suivre dans notre quotidien, nous offrant de surprenants échos. Dans Les vacances de Monsieur Hulot (1953), la porte de l’hôtel de la plage semble toujours faire un bruit quand on l’ouvre même s’il s’agit d’un autre lieu, d’une autre porte. Cette sensation d’infini et d’inabouti se retrouve dans certains poèmes de Ghérasim Luca, poète roumain francophone. Un des exemples les plus évidents est le poème Comment s’en sortir sans sortir (titre du récital télévisuel de Ghérasim Luca* [1988]), composé de deux propositions contradictoires. Luca ne donne pas de solution, mais par le jeu phonétique et la concurrence des sens, il renvoie à l’infini. Ce jeu de double-sens, cette répétition cyclique entre deux termes et le quiproquo, tendent vers l’indéfini.
* Raoul Sangla, Luca, comment s’en sortir sans sortir, vidéo, 55 min, Arte, CDN, FR3, France 1989.
– La boucle
La mise en boucle est une des « techniques de la bande » dans le domaine de la vidéo et du son. On la retrouve dans la musique répétitive de musiciens comme Terry Riley, Steve Reich ou de vidéastes tels que Ortiz, Martin Arnold, Keith Sanborn ou Girardet, qui manipulent de courtes séquences, et utilisent toutes les combinatoires de la bande (découpe, collage, duplication, tireuse optique…). Certaines mises en boucle sont proches du mouvement dans le vide. Elles tournent en rond et suspendent le temps. Une séquence est systématiquement répétée. Dans In C (1968), Terry Riley met en boucle deux séquences à intervalles différents. Le changement d’amplification se fait par croisement des boucles. Ce système de deux boucles permet de maintenir l’attention en alerte pendant quarante minutes. La variation est utilisée pour créer l’attente et amener ainsi la surprise. Comme pour les temps de pause de l’allumage d’un briquet, ce sont les relances qui rythment la séquence. Le non-accomplissement de la mélodie maintient l’attention. Agacé, irrité, rien ne se passe, car rien ne s’accomplit. Mais à un certain moment l’auditeur franchit un seuil, il se laisse bercer par la mise en boucle. Il adhère au temps suspendu, car des nuances deviennent perceptibles. Il entre dans un monde où le moindre changement semble monumental. La boucle n’est ni qualitative ni extensive, elle est intensive. Chaque changement minutieux d’harmonique, d’addition ou de soustraction rythmique semble relancer un nouveau morceau. Ces moments sans limites stimulent les sens au maximum.
2 Le bégaiement-déclencheur
A Expériences
La petite voiture à friction.
Le triple saut.
Le mécanisme d’une montre.
Le moteur à quatre temps.
La mobylette.
Le tube néon.
– L’entraînement
En répétant quatre fois la même action, 1234….1234….1234…..1234, on parvient à lancer la suite du mouvement …56. La voiturette à friction avance toute seule si on la frotte trois à cinq fois au sol. Le tube néon effectue trois à six pulsions avant de s’allumer totalement. Au triple saut, deux petits sauts sont nécessaires pour engendrer un plus grand saut.
– L’explosion
La dernière action est dite « explosive ». Elle résulte de l’explosion de la tension répétée dans un même mouvement. Le mouvement basé ainsi sur un système de « flux tendu » accumule les décharges énergétiques. Il restitue cette concentration en une seule fois. La répétition concentre, puis elle restitue.
Un mouvement déclenche un autre mouvement
C Le rythme impulsif
C’est un rythme décalé à la recherche d’un point de rupture. Chaque pulsion se fait sur un temps court. Le rythme semble inachevé, car la pulsion n’est jamais totalement expulsée : un-deux-trois-qu…. un-deux-trois-qu…. un-deux-trois-qu…. Elle explose si elle se produit au bon moment : un-deux-trois-qu…. un-deux-trois-quatre…. Quand le rythme s’ajuste au bon instant, il y a rupture de rythme. Une nouvelle dynamique s’enclenche : un-deux-trois-qu…. un-deux-trois- quatre—cinq—six—sept—huit—neuf—dix…. C’est le cas d’un néon qui s’allume. Le rythme décalé déclenche une seconde dynamique beaucoup plus régulière. Parfois, ce rythme impulsif ne déclenche qu’une explosion. C’est le cas pour le triple saut. Il n’engendre pas de second rythme, mais une propulsion.
D La production d’énergie
La répétition classique (huilée) s’oppose au bégaiement (grippé). Il y a comme du frottement dans le bégaiement. Quand ça frotte, ça chauffe. Cette analogie illustre qu’une anomalie peut produire de l’énergie. Dans les séquences photographiées, ce qui ressemble à une anomalie est maîtrisé et volontaire.
– La propulsion
Au triple saut, les deux petits sauts antérieurs entraînent un saut très performant, ils préparent les muscles des jambes à l’explosion du dernier geste. Le sportif accumule l’énergie engendrée par l’élan de la course et la retenue d’énergie des deux bonds pour obtenir un dernier saut explosif. Dans le tube luminescent, le néon est excité par des décharges électriques. Quand il est suffisamment provoqué, il rayonne. Cet échauffement par faibles productions d’énergie successives permet de démarrer un autre système. Dans le moteur à quatre temps d’une voiture, le moteur à deux temps d’une mobylette ou d’une scie sauteuse, le démarrage se fait par répétition. En hiver, lorsque le moteur est froid, il ne peut entamer un cycle normal dès le premier démarrage (dans le cas d’un système de boîte d’allumage mécanique). Dans un moteur de voiture, le rythme est à quatre temps. Premier temps, l’admission : l’essence arrive en haut des cylindres mélangée à l’air grâce au carburateur. Deuxième temps, la compression : le mélange explosif se trouve en haut du cylindre, dans la chambre de combustion. Le piston, entraîné par le mouvement du moteur, comprime le mélange. Troisième temps, l’explosion : à un moment précis la bougie produit une étincelle qui enflamme le mélange. Quatrième temps, l’échappement : le piston est alors violemment repoussé, et les gaz résiduels de l’explosion sont chassés vers l’extérieur du moteur. Le démarreur électrique entraîne tout le mécanisme pour enclencher le démarrage du moteur. S’il fait trop froid ou si le moteur est un peu encrassé, le démarreur déclenche une explosion peu puissante, qui n’entraîne pas suffisamment le vilebrequin et les pistons. Mais cette énergie chauffe le moteur. Au bout de quelques tentatives, les pistons métalliqueset les cylindres sont suffisamment chauds pour commencer un cycle normal. Le cycle débute par une explosion très puissante du mélange, et se répète plusieurs milliers de fois par minute.
Dans ces trois cas, l’énergie produite est restituée par une explosion. De l’énergie 0, le déclencheur produit une force 1, le relais transforme la force 1 en force 2, et ainsi de suite jusqu’à une force 10 qui explose. Chaque pulsion produit une énergie qui entraîne une seconde pulsion toujours plus puissante. La répétition amplifie l’énergie de chaque action, la concentre et la fait exploser. L’effort est court et violent.
– L’accumulation et la restitution
À l’opposé de cette violence, la répétition produit un second type d’énergie qui n’explose pas mais est redistribuée lentement. Pour faire avancer la voiturette, il est nécessaire de la faire reculer en la frottant plusieurs fois au sol. L’énergie accumulée grâce à un ressort sera restituée plus lentement et lui fera parcourir plusieurs mètres. La montre est remontée dans le sens inverse du temps. Ici, on ne fonce pas pour exploser, mais on recule pour mieux redistribuer. Dans ces deux exemples, où l’on observe un bégaiement déclencheur, la répétition accumule et redistribue l’énergie.
E La production d’une énergie communicante
Certains slogans publicitaires utilisent un bégaiement-déclencheur. Un début de mot est enclenché, bégayé et finit par dévoiler le produit.. Le système de répétition progressif est utilisé pour le whisky Clan MacGregor (2000). La bouteille se situe à droite du slogan « Clan, Clan, Clan, Clan ». Les quatre « clan » amorcent le produit et retardent la lecture de la marque de whisky jusqu’au dernier moment. À la lecture du nom complet Clan Macgregor, la bouteille de whisky est sublimée par l’attente et l’impact du slogan ; comme au début d’une pièce de théâtre où les trois coups lancent le spectacle. Il se passe la même chose ici, la répétition systématique de « clan » introduit énergiquement le produit. Ce système est un bégaiement-déclencheur, il figure un processus d’amorce et entraîne une création d’énergie. L’énergie créée est une pulsion explosive communicante. Comme au triple saut, le « Clan Clan Clan » correspond aux deux sauts préparatoires. Le plus important n’est pas le grand saut mais les petits sauts. Le « Clan Clan Clan » amène progressivement l’impact
du « MacGregor ».
Dubo, Dubon, Dubonnet, conçue par Cassandre en 1932, est l’une des affiches les plus célèbres de la publicité en France. Le slogan est un calembour : vraiment beau, vraiment bon. Le jeu de mot se veut impératif, il amène une progression. Cassandre joue graphiquement avec l’image, il crée un triptyque. Dans la première partie, un bonhomme lorgne son verre avec méfiance. Cassandre colorie seulement la partie du corps qui participe à l’appréciation du verre de tonique. Au fur et à mesure de l’action, la table et l’homme sont de plus en plus coloriés. Au troisième verre, l’homme satisfait est entièrement colorié. Sur une déclinaison de cette affiche, un fond dégradé lie les trois scènes et met en valeur les transitions. La progression de ce buveur qui se « noircit » en buvant méthodiquement, énonce les étapes d’une dégustation très appréciée d’un vin tonique au quinquina.
Plublicité pour le whisky Clan MacGregor (2000).
Cassandre, Dubo, Dubon, Dubonnet (1932).
Dans ces deux exemples, la répétition fonctionne comme un slogan. Le slogan accroche, capte l’attention, il rend concis et frappant l’ensemble d’une campagne publicitaire. Comme dans le slogan pour le shampoing « Dop, Dop, Dop », celui-ci est un rappel, il renforce l’image de marque. La répétition d’une image, d’un mot, conditionne le destinataire. Le slogan devient un mot d’ordre. Il est court, incitatif et net. La formule « Dubo, Dubon, Dubonnet », par son caractère court et frappant, devient agréable à répéter. Dans son journal, André Gide* écrit à propos du slogan que « n’importe quelle formule concise est facile à retenir et habile à frapper l’esprit en raison de sa brièveté ».
* Le Journal d’André Gide, Paris, Gallimard, 1948.
– Le déclencheur comique
Je suis sous, sous, sous
Sous ton balcon
Comme Roméo
Oh! Oh! Marie-Christine
[…]
Je suis rond, rond, rond
Rongé de remords
Je suis un salaud
Oh! Oh! Marie-Christine
[…]
Je suis bourré, bourré, bourré
De bonnes intentions
J’ai trouvé du boulot
Oh! Oh! Marie-Christine
[…]
On est sous, sous, sous
Sous ton balcon
Comme Roméo
Oh! Oh! Marie-Christine
[…]
Claude Nougaro-Jacques Datin, Je suis sous (1964).
On retrouve ce même effet dans la chanson Je suis sous (1964) de Claude Nougaro. Un amant ivre essaie de reconquérir le cœur de Marie-Christine et tente par la répétition de dégager un bloc sonore ultime, un dernier souffle, un dernier cri. Mais son propos est maladroit. Le décalage entre le sens des mots répétés et celui de la phrase globale « je suis sous, sous, sous, sous ton balcon » déclenche une chute émouvante. Ce processus est largement utilisé dans le cinéma et le théâtre comique où des bègues sont mis en scène. Ainsi Porky-Pig le cochon bègue des dessins animés de la Warner Bros, ou le vieil alcoolique dans la classique scène du commissariat s’adressant au colonel ou au capitaine : « mon caca…pipi…taine » ou « mon coco…lonel* ». Ce bégaiement progressif amène une chute comique, liée à la répétition et au quiproquo, à la confrontation entre l’adulte et le langage enfantin, à l’opposition entre rigueur et indiscipline. Le principe reste le même : utiliser le déséquilibre pour amener un effet de surprise.
* René Bernard, Le bègue sur la scène française, Genève, Slatkine Reprints, 1977.
– Le déclencheur poétique
[…] la vie, la vie vit, la vie-vice, la vivisection […]
Ghérasim Luca, Héros-limite (1970).
[…]
phiphie
phopho phiphie photo do do dominez do photo mimez phiphie photomicrographiez
[…]
Ghérasim Luca, Passionnément (1973).
éééé éméme émersion
[…]
je je t’ai je t’aime
[…]
ma gra ma grande ma gra ma té
ma té ma gra
ma grande ma té
ma terrible passion
[…]
je je t’aime
je t’aime je t’ai je
t’aime aime aime aime je t’aime
passionné é aime je
t’aime passionném
je t’aime
passionnément aimante
je t’aime je t’aime passionnément
[…]
Ghérasim Luca, Passionnément (1973).
Le système bégayant se transforme en langage poétique chez Ghérasim Luca. Il utilise dans ses textes des sons inarticulés, des liaisons étirées, des précipitations, des ralentissements, des répétitions de particules. Ces séries de mots sont expulsées en un seul bloc, d’un seul souffle : « je je t’ai je t’aime, je t’aime passionnément ». Luca abandonne la structure grammaticale pour un effet brut. Il sépare les syllabes, les mots sont désarticulés, la structure de la phrase en perpétuel déséquilibre. Le langage se met à vibrer, il tremble. Mais la phrase progresse et se met en situation de krach. La formule de Luca « je t’aime passionnément » éclate après une série bégayante : 1-12-12-122222-12-1234-12334- 123456. Il arrive à un effet fort, à un cri, en manipulant les déséquilibres et les disjonctions du langage. Cette progression amène une pulsion du sens et de la langue : soit elle confirme le sens du début du vers, soit elle s’y confronte. « Je je jet je t’ai jetez je t’aime ». La confrontation de « jeter » et « aimer » sublime le sens de la déclaration amoureuse. Le double sens et les quiproquos sont des connexions qui participent au déséquilibre du langage poétique chez Luca. Ici, la répétition désarticule et cherche un déséquilibre, permettant la rupture.
3 Le bégaiement-structurant
A Expériences
Jouer avec des poupées gigognes.
Chercher un dossier dans les tiroirs d’un bureau.
Prendre un billet dans son portefeuille.
Ouvrir une série de dossiers informatiques.
Utiliser une boîte à outils.
B Le mouvement à échelons
– L’emboîtement
Le mouvement d’un bégaiement-structurant fonctionne en cascade. Il se décompose en étapes simples et relativement identiques. Une première action en amorce une seconde, identique à la première. Cette seconde action en amorce une troisième, identique à la seconde, et ainsi de suite. Chaque action est comme emboîtée dans celle qui précède.
– La fragmentation
Le mouvement n’est pas fluide, mais fractionné par de courts temps de relance. La réussite d’une action permet d’accéder à la suivante. Si l’une échoue, c’est le mouvement entier qui rate. Cependant, le mouvement est tellement fragmenté en sections simples, facilement réalisables, qu’il n’y a aucun risque d’échec. Ce système ordonné assure un déroulement cohérent et structuré dans son ensemble.
– Le relais
Le mouvement dévoile petit à petit chacune des actions. Dans le cas d’un dossier informatique (ci-dessus) une action correspond aux images 1 et 2. L’ensemble du mouvement est donc divisé en petites actions courtes. Chaque étape forme un relais pour l’étape suivante, 1a/2a enclenche 1b/2b. 1a/2a est légèrement différente de1b/2b. Même geste, seul le résultat diffère.
Mouvement fractionné en étapes
C Le rythme fractionné
C’est un rythme saccadé qui a tendance à légèrement accélérer le geste, 1……..2, 1……2, 1….2, 1..2, 12. Dans les cas du sac et des poupées gigognes, le geste devient plus rapide. Ouvrir le sac prend trois secondes, ouvrir le porte-monnaie une demi-seconde. Ouvrir la grosse poupée trois secondes, ouvrir la toute petite poupée un tiers de seconde. La fréquence du rythme s’accélère quand on atteint le geste final.
D La production d’un système structurant
Le système conçu sur un principe répétitif de cause à effet additionne des étapes identiques et les articule à l’aide d’un même principe. Cette organisation crée une interaction entre chaque étape.
– Le principe de la répétition en cascade
Un geste déclenche 1b2b, à partir de 1a2a, puis 1c2c à partir de 1b2b. Faire le même geste, pour accéder à des étapes identiques relève d’une forme de bégaiement. Malgré la répétition, il y a progression. La systématisation permet d’avancer, de comprendre immédiatement le procédé, et de le répéter facilement.
– L’organisation
Il existe plusieurs déclinaisons pour un « bégaiement qui organise ». Il peut être utilisé dans le cas d’arborescence de dossiers informatiques. Je navigue sur un principe linéaire à travers une arborescence compliquée. L’agencement des dossiers et le geste pour y accéder sont les mêmes. La navigation progresse vers un but précis. Cette répétition dans la navigation et l’architecture des dossiers organise le rangement et facilite leur recherche. Dans le cas d’un porte-monnaie dans un sac, les étapes sont dévoilées les unes après les autres. La répétition de la même action permet machinalement de trouver quelque chose. Les étapes s’enchaînent, leur relation dans cette recherche linéaire devient simple et évidente.
– La structuration
Dans le cas d’une boîte à outils, les étapes sont révélées dans le même temps. Les articulations ne se suivent pas mais sont d’un seul tenant. Les articulations entre chacune des boîtes sont les mêmes, mais le déploiement se fait en une seule fois. On peut parler de bégaiement structurant dans ce cas, car c’est un système en cascade, avec un rythme progressif ouvrant des casiers. Les cases sont plus grandes au centre que vers l’extérieur. Le bégaiement structurant ordonne des objets similaires et organise des gestes répétitifs.
E Le bégaiement structurant comme principe créatif
– L’organisation de l’espace
Dans le cas de tables ou de lits gigognes, la structure de l’objet reprend le principe en cascade. Nous avons une série de tables identiques mais de tailles différentes, emboîtées les unes dans les autres. Le même geste est repris pour les déployer l’une après l’autre. Le système permet d’organiser plusieurs tables pour réduire leur encombrement dans l’espace.
– Le Classement
Le phénomène de répétition en cascade peut être emboîté, mais il fonctionne également déployé. La série de cuisine en métal classe les denrées. Ce sont les mêmes pots répétés à l’identique mais de dimension décroissante. Ce système permet de reconnaître immédiatement la farine, le sucre ou le poivre. Il suffit d’un léger changement d’échelle pour instaurer inégalité et différence dans la répétition.
– Le déploiement
Le bégaiement que l’on retrouve dans les séquences animées déploie les choses. La structure d’une longue-vue se compose de cylindres identiques de formes décroissantes, emboîtés et coulissants les uns dans les autres. Déployer une structure télescopique agrandit la distance entre les lentilles et augmente le grossissement de l’image. Repliée, elle ne tient plus de place.
– La ramification
Les Jardins de Rosette vus d’une dahabieh.
Environs du Caire.
Rasant le Nil, je vois fuir deux rives couvertes
De fleurs, d’ailes, d’éclairs, de riches plantes vertes
Dont une suffirait à vingt de nos salons
(doux salons où sitôt qu’ont tourné deux talons
((En se divertissant soit de sa couardise
(((Force particuliers, quoi qu’on leur fasse ou dise,
Jugeant le talion d’un emploie peu prudent,
Rendent salut pour œil et sourire pour dent ;)))
Si – fait aux quolibets transparents, à la honte –
(((Se fait-on pas à tout ? deux jours après la tonte,
Le mouton aguerri ne ressent plus le frais ;
S’il peut rire, chanter, siffler, faire des frais,
C’est que le perroquet se fait vite à la chaîne
Qui – lui qui sait vieillir comme vieillit un chêne
Quand nul n’est au persil des mets où son bec mord –
Le rive à son perchoir et l’y rivera mort ;
L’envieux ((((dont les nuits cessaient de couler calmes
Au vu d’un nom ami dans la liste des palmes
Et chez qui se perdaient le boire et le manger
Quand, non moins célébré qu’en France à l’étranger,
Un confrère – à l’en croire une franche savate –
Voyait se transformer sa rosette en cravate))))
Se fait au sentiment du montage d’autrui ;
L’astronome ((((tel astre apparaît aujourd’hui
Comme un feu dont l’éclat aux clignements nous force
Qui, lorsque l’eau couvrait, de la terrestre écorce,
Tout, sauf les pics par l’homme encore non atteints,
S’était classé déjà dans les mondes éteints…
– Tout feu s’éteint, en nous comme dans la nature ;
Sur les plis qu’on n’obtient que contre signature
D’un souffle l’envoyeur éteint chaque cachet ;
L’âge éteint certains feux : jamais las , le cochet
Prend tout, poulette, poule à point, poule douairière…
Le coq mûr fait un choix ; les poltrons, au derrière,
Ont un feu qui s’abstient de survivre au danger
(((((Feu cuisant, mais fictif ; jamais, à vidanger,
Nul ne fut intrigué par sa cendre, et le lièvre
Ne le vit pas brusquer les grenouilles ;))))) ; la fièvre
Crée un feu qui s’éteint, soit quand le sujet meurt,
Soit quand, grandi parfois à menacer d’un heurt,
Lustres vos cristaux bas et vos basses ampoules,
– Quand, brutal, au sortir d’un lointain pistolet
Qu’étreint un champion dont tous les coups font mouche,
Un projectile heureux rompt la mèche ou la mouche ;
– Quand un liseur, au lit (((((dos hors de l’oreiller,
Front en main, tant il sent l’intérêt s’éveiller))))),
Dévore justement quelque poignant passage
Où, mère sans anneau (((((que l’univers croit sage
Tant son accouchement sut être clandestin)))))
Dont (((((prêt à joindre au sien son plantureux destin)))))
S’est épris pour la vie un banquier de la haute,
Une jeune employée, un an après la faute,
Suivi de vœux faits haut pour voir par Dieu bénie
La personne au nez pris ; le saint feu du génie
(((((Qui rend l’élu touché par lui si vaniteux
Qu’il trouve au firmament les vrais astres piteux
Auprès de l’astre neuf qui sur son front rayonne
Et songe à devenir le maître que crayonne
Quiconque a pour métier l’art caricatural,
– Art né, dit-on, un soir, du fou profil mural
Qu’offrait à des rieurs l’ombre d’une personne, –
A la porte duquel maint journaliste sonne,
Qui sur vingt grands cordons existants en tient un,
Lui qui souvent, alors qu’il se couche, est à jeun
Non moins que le fidèle en qui descend l’hostie)))))
S’éteint quand l’âge rend son détenteur gaga
(((((Feu qui, si grand que soit tel nom, tel pseudonyme,
Chez nul n’est reconnu de façon unanime ;
– L’homme n’a pas ainsi qu’un pantin au bazar
Son prix collé sur lui ;))))) ;sur son mur Balthazar
Vit, en traits défiant le grattoir et la gomme,
Trois mots de feu briller… puis s’éteindre ; chez l’homme,
Le feu de l’œil s’éteint à l’âge où dent par dent
Et cheveu par cheveu, sans choc, sans accident,
Par l’action du temps, sa tête le déleste ;))))
Se fait aux profondeurs du grand vide céleste
Où la lumière court sans jamais le franchir ;
L’aphone à son ardoise, ennuyeuse à blanchir ;)))
Il ne sait aux gifleurs que tendre l’autre joue,
Soit de ses fins talents s’il triche lorsqu’il joue ;))
Sur celui qui s’éloigne on fait courir maints bruits ;),
D’opaque frondaison, de rayons et de fruits.
Raymond Roussel, « Les jardins de Rosette vus d’une dahabieh », Nouvelles impressions d’Afrique (1909).
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Position des parenthèses et des phrases dans le poème Les jardins de Rosette vue d’une Dahabieh.
Robert Desnos, Domaine public (1953)
Dans la construction de certains de leurs poèmes, Raymond Roussel ou Robert Desnos utilisent un système qui bégaie. Dans Nouvelles impressions d’Afrique (1909), Roussel n’utilise pas le bégaiement sur des termes complets ou des particules de mots, mais sur l’extension d’une notion dans une phrase. Il utilise un système de parenthèses qui subdivise la phrase. Dans le poème Les jardins de Rosette vue d’une Dahabieh, Roussel ouvre une première parenthèse sur « nos salons ». Dans cette parenthèse il ouvre une seconde sur « sa couardise ». Ainsi de suite, il arrive jusqu’à cinq parenthèses les unes dans les autres. Son texte se dilate. Son langage se ramifie. Il utilise une syntaxe qui engendre une nouvelle syntaxe. Deleuze dira : « ce n’est plus la syntaxe formelle ou superficielle qui règle les équilibres de la langue, mais une syntaxe en devenir, une création de syntaxe qui fait naître la langue étrangère dans la langue, une grammaire du déséquilibre* ». Ce système de ramification fait bifurquer le sens linéaire de la phrase pour le prolonger dans une autre : il crée des connexions, et amène des doubles points de vue. Roussel facilite au lecteur les allers et retours dans ses poèmes.
* Gilles Deleuze, Critique et Clinique, Paris, Minuit, 1993, p. 141.
Le rêve en action
la beauté de ton sourire ton sourire
en cristaux les cristaux de velours
le velours de ta voix ta voix et
ton silence ton silence absorbant
absorbant comme la neige la neige
chaude et lente lente est
ta démarche ta démarche diagonale
diagonale soif soir soie et flottante
flottante comme les plaintes les plantes
sont dans ta peau ta peau les
décoiffe elle décoiffe ton parfum
ton parfum est dans ma bouche ta bouche
est une cuisse une cuisse qui s’envole
elle s’envole vers mes dents mes dents
te dévorent je dévore ton absence
ton absence est une cuisse cuisse ou
soulier soulier que j’embrasse
j’embrasse ce soulier je l’embrasse sur
ta bouche car ta bouche est une bouche
elle n’est pas un soulier miroir que j’embrasse
de même que tes jambes de même que
tes jambes de même que tes jambes de
même que tes jambes tes jambes
jambes du soupir soupir
du vertige vertige de ton visage
j’enjambe ton image comme on enjambe
une fenêtre fenêtre de ton être et de
tes mirages ton mirage son corps et
son âme ton âme ton âme et ton nez
étonné je suis étonné nez de tes
cheveux ta chevelure en flammes ton âme
en flammes et en larmes comme les doigts de
tes pieds tes pieds sur ma poitrine
ma poitrine dans tes yeux tes yeux
dans la forêt la forêt liquide
liquide et en os les os de mes cris
j’écris et je crie de ma langue déchirante
je déchire tes bras tes bras
délirant je désire et déchire tes bras et tes bras
le bas et le haut de ton corps frissonnant
frissonnant et pur pur comme
l’orage comme l’orage de ton cou cou de
tes paupières tes paupières de ton sang
ton sang caressant palpitant frissonnant
frissonnant et pur pur comme l’orange
orange de tes genoux de tes narines de
ton haleine de ton ventre je dis
ventre mais je pense à la nage
à la nage du nuage nuage du
secret le secret merveilleux merveilleux
comme toi-même
toi sur le toi somnambulique et nuage
nuage et diamant c’est un
diamant qui nage qui nage avec souplesse
tu nages souplement dans l’eau de la
matière de la matière de mon esprit
dans l’esprit de mon corps dans le corps
de mes rêves de mes rêves en action
Ghérasim Luca, «Le rêve en action », Héros-limite (1970).
Schéma du poême «Le rêve en action », Héros-limite (1970).
Ghérasim Luca utilise dans Le rêve en action (1970), un procédé de ramification répétitif. Cette figure de style appelée dorica castra, consiste à reprendre la dernière syllabe d’un mot pour construire le suivant. Dans Le rêve en action, chaque mot répété amène un nouveau mot, qui sera également répété. La progression se fait sur une ligne qui à chaque connexion dérive. Chaque mot devient une articulation du poème où d’étranges histoires se créent de manière à induire une illusion. Ce procédé se retrouve dans le jeu « Marabout, bout de ficelle ». Chaque idée amène une nouvelle idée. On ne sait pas où l’on va, mais le processus est familier. J’en ai marre / Marabout / Bout de ficelle / Selle de cheval. Il est facile de suivre ce système de pensée, et de ne faire que des liens poétiques entre deux mots. Luca cherche le déséquilibre sur cette ligne droite, par l’association de termes mis en écho. Ces associations d’idées se retrouvent dans les résultats du jeu Surréaliste du cadavre exquis. Le système d’écriture automatique permit aux surréalistes de libérer les activités métaphoriques de l’esprit, et d’explorer le pouvoir de l’inconscient dans la création. Dans Critique et Clinique, Gilles Deleuze nous dit que le système répétitif cache de la différence et de la résonance. Dans une organisation en série, un système se constitue sur la base de plusieurs séries. Quand les séries entrent en communication, de la différence s’ajoute à d’autres différences. La répétition favorise au sein d’un système l’amplitude d’un mouvement et la résonance des éléments qui le composent.
– La recherche d’inspiration
Ce procédé à ramification métaphorique servira d’outil de conception à Jean-luc Godard. Dans le documentaire Scénario du film Passion, Godard explique la construction du scénario de son film. Avant d’écrire, il cherche à voir le scénario entre les mots, les images et les sons. Il procède de la même façon que Luca pour son poème. Le patron de l’usine, incarné par Michel Piccoli, sort de sa voiture et dit aux ouvrières : « Je vous ai bien eu quand même ». À partir de cette phrase, Godard continue : « Je vous ai bien eu quand même, je t’aime, tu m’aimes quand même, quand m’aimeras-tu, je t’ai bien eu, avoir le patron, à un avoir, avoir quelque chose à la banque, avoir quelque chose, avoir avec quelqu’un, ne pas se laisser avoir, la patron à une femme, la femme ne veut pas se laisser avoir ». Il trouve les images justes, les dialogues, l’existence des personnages
de l’histoire. Il n’utilise pas ce système comme effet poétique, mais comme moyen de construction et de conception du film. Avec cette technique, il installe dans ses projets de l’émotion, de l’inspiration, de l’inconscient, de l’arbitraire.
– De la structure à l’aléatoire
Le bégaiement donne de l’amplitude aux idées et aux structures. Une fractale est une figure géométrique construite d’après un processus répétitif très simple (similaire au principe
de ramification). Ce principe consiste à répéter un motif à l’infini d’après un procédé mathématique (l’homothétie). Ce système fragmente une forme en une multitude de motifs semblables à des échelles différentes. Benoît Mandelbrot (*1924), mathématicien français, remarqua que les formes naturelles répondaient souvent à des propriétés de ce type : contour des nuages, arbre, choux-fleurs… La structure de nombreux matériaux, naturels ou synthétiques, relève également de la géométrie fractale : matériaux polymères de surfaces rugueuses ou de corps poreux. La structure fractale de certains matériaux nouveaux leur confère des propriétés exceptionnelles. Les chimistes ont pu synthétiser des matériaux de structures extrêmement ténues, tels que des gels de silice. De tels matériaux, ultralégers, sont appelés aérogels.
Leurs propriétés surprenantes (faible densité, très grand pouvoir d’isolation thermique) sont liées à leur structure fractale. Les fractales ont un lien très étroit avec le hasard, et permettent de modéliser des expériences aléatoires complexes, d’où leur utilisation dans le calcul des probabilités dans le domaine de la finance (Théorie d’Elliott). Ce type de bégaiement construit à partir d’un élément et d’un principe simple permet de faire apparaitre de la complexité et un désordre prévisible qui se lisent et se meusurent (à l’aide d’algorithmes et de l’informatique).
Ce bégaiement fragmente, structure, complexifie et amène à un désordre particulier.
Figures et structures fractales
* Peintre et pédagogue américain (1888-1976).
– La comparaison
En 1926, Josef Albers*, conçoit des tables gigognes. Ce système permet de comparer le rapport forme-couleur. À la manière du peintre Malevitch, des formes élémentaires sont peintes en aplats (rouge, jaune, bleu), de sorte que les éléments colorés deviennent des « surfaces-couleur » assemblées de différentes manières (groupées, juxtaposées, tangentes ou superposées). Les différents systèmes d’assemblage permettent d’interroger la nature de la création artistique à travers la structure de la composition, le rapport des formes et des couleurs, les matériaux, la surface, la lumière et l’espace. On s’aperçoit qu’avec un système de gigogne, on peut superposer, additionner, grouper, juxtaposer les couleurs. Mettre en place un système de répétition qui comprend la différence permet d’aborder les problèmes fondamentaux du Constructivisme et du Suprématisme. Ce système de bégaiement que nous disons structurant, permet la variation, l’inégalité, la comparaison, l’altération, et l’hétérogénéité, au sein d’un système répétitif.
Josef Albers, quatres tables gigognes (1926).
4 Le bégaiement-hésitant
A Expériences
Le ballon de basket hésite à entrer dans le panier.
Les portes battantes se referment.
L’ascenseur ne s’arrête pas au bon étage.
L’indication du poids sur une balance.
Le panneau d’affichage d’une gare.
B Le mouvement hésitant
C’est un mouvement qui cherche à se stabiliser ; il s’articule entre un avant et un après. Le mouvement bascule jusqu’à revenir à un point d’équilibre précis. Sur les séquences animées, il est facile de voir ce mouvement de balancier. Dans le cas des portes battantes, la séquence est construite à partir de huit images (12345678). À chaque basculement, une image est supprimée (234567), provoquant une simplification progressive du mouvement (456). La dernière image clôt
le mouvement (5).
Mouvement de balancier cherchant à se stabiliser
C Le rythme décalé
– Le rythme en retard ou en avance
C’est un rythme régulier mais décalé. Il est toujours en retard ou en avance dans le temps. Les actions ne s’accomplissent pas au bon instant. On obtient alors une demi-décharge énergétique : u.. de..tro..qua..cin..si..sep… Les actions ne sont jamais finies ce qui produit un temps suspendu.
– La sensation d’accélération et de ralentissement
On croit percevoir une accélération ou un ralentissement là où il n’y en a pas. Cette sensation d’accélération apparaît par la modification du positionnement de l’objet au cours du mouvement.
D La recherche de stabilité
– La stabilité
Contrairement aux exemples précédents, le mouvement cherche ici à se stabiliser. Le bégaiement tourne autour d’un mot pour y arriver progressivement. Le va-vient se resserre, approchant petit à petit de son but. Le ballon de basket tape trois à six fois sur le cerceau avant d’entrer dans le panier. Durant trois secondes, le ballon hésite entre entrer et sortir. C’est un principe identique pour les portes battantes : la porte de droite bat quatre fois et celle de gauche cinq. Il faut neuf battements au total pour que les portes ajustent leurs mouvements et se ferment.
– L’hésitation
Cette recherche de stabilité passe par un temps d’hésitation. Aucune position n’est affirmée pendant le temps bégayant. Tout est en mouvement. L’hésitation n’arrête pas le temps, mais semble nettement le ralentir. Elle produit un temps en suspension, un temps que l’on essaie souvent d’anticiper.
– L’attente dynamique
Quand les panneaux d’information à facettes ne bougent pas, ils procurent une attente statique (voir cas 1). Rien ne se passe et rien ne se passera. Quand les plaquettes sont en mouvement, elles instaurent une attente dynamique (voir cas 2). Le regard du voyageur est concentré sur le mouvement hésitant. Le rythme est régulier, seuls les éléments d’information varient.
Cas 1 : statique
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Cas 2 : dynamique
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1232131121313123122313213121211221212132122131221222
– La concentration de l’attention
Face à l’hésitation, la tendance est toujours d’anticiper. Face à un bègue, anticiper ce qu’il veut dire, c’est lui prendre la parole, l’empêcher de communiquer. Anticiper, c’est essayer de prendre un temps d’avance. C’est sur ce temps que se concentre l’attention.
– Le temps en suspension
Les plaquettes des panneaux de gare tournent à toute vitesse, mais le résultat n’est pas immédiat. Ce décalage entre vitesse et efficacité produit un faux temps. Il en est de même pour
les vitesses d’un vélo. Si l’on met le grand plateau à l’arrière sur un terrain plat, on pédale très vite mais on avance très lentement. Ce contraste de la répétition rapide d’une action et le résultat lent, associé au « va-et-vient » de l’hésitation procure la sensation d’un temps suspendu.
E Un présent étiré
– Le présent continu
Dans les poèmes de Gertrude Stein, rien ne progresse, rien n’avance. Dans ses phrases, il n’y a pas le moindre sens pour troubler ses hésitations. Elle étire le temps, elle fait durer l’instant,
elle insiste, elle sort du temps. La structure grammaticale, les sons, les mots sont les mêmes. La répétition permet à Stein de dépouiller la phrase de tout ce qui n’est pas élément essentiel. Selon elle, la phrase et le mot sont trop précis, seul le paragraphe amène de l’incertitude. Il contient une grande plage de temps qui lui permet de ne pas organiser les éléments. La répétition de Gertrude Stein déconstruit la structure classique de l’écriture du début du XXe siècle. Par la répétition, elle atteint un langage en adéquation avec le monde dans lequel elle vit.
If I told him would he like it. Would he like it if I told him. Would he like it would Napoleon would Napoleon would would he like it. If Napoleon if I told him if Napoleon. Would he like it if I told him of I told him if Napoleon. Would he like it if Napoleon if Napoleon if I told him. Would he like it if Napoleon if Napoleon if I told him. If I told him if Napoleon if Napoleon if I told him. If I told him would he like it would he like it if I told him.
Si je lui disais l’aimerait-il. L’aimerait-il si je lui disais. L’aimerait-il, Napoléon l’aimerait-il, Napoléon l’aimerait l’aimerait-il. Si Napoléon si je lui disais si Napoléon. L’aimerait-il si je lui disais, si je lui disais si Napoléon. L’aimerait-il si Napoléon si Napoléon si je lui disais. L’aimerait-il si Napoléon si Napoléon si je lui disais. Si je lui disais si Napoléon si Napoléon si je lui disais. Si je lui disais l’aimerait-il l’aimerait-il si je lui disais.
Gertrude stein, If I told him, a completed portrait of Picasso, (1923).
I am content, you are not content,
I am content, you are not content,
I am content, you are content,
I am content
Ça me fait plaisir, ça ne te fait pas plaisir,
Ça me fait plaisir, ça ne te fait pas plaisir,
Ça me fait plaisir, ça te fait plaisir,
Ça me fait plaisir.
Gertrude Stein,Storyette.
– La prolongation du temps
Martin Arnold, Pièce touchée (1989).
Dans la conception de vidéos expérimentales, le système répétitif hésitant permet d’explorer et d’exploiter les techniques cinématographiques. Certains artistes comme Martin Arnold ou Christophe Girardet reprennent des séquences de films existants et les retravaillent en fonction d’une progression spatiale et temporisée. Martin Arnold, vidéaste autrichien, prend une séquence de dix-huit secondes dans un film de série B américaine. Il répète une demi seconde de chaque action, dix à vingt fois à la suite, avec une tireuse optique. Il obtient quinze minutes d’un film hoquetant. Dans Pièce touchée (1989), séquence tirée d’Human Jungle (1954) de Joseph M. Newman, une femme est assise dans un fauteuil, le mari entre au salon pour la saluer. Dans le film recomposé, on ne sait pas si l’homme sort ou entre. Il avance, il recule, il avance, il recule, il y va, n’y va pas, il y va, n’y va pas. Il hésite constamment, avançant progressivement par à-coups successifs jusqu’à finir par saluer sa femme. Sur la partition de Pièce touchée, on sent la volonté de « va et vient » de l’image : 27.28.29-28.29.30-29.30.31-28.29.30-27.28.29-28.29.30- 29.30.31-28.29.30…
Il en va de même pour le système de balancier des portes battantes :
30-31-32-33-34-35-36-37-38-39-40-41-42
31-32-33-34-35-36-37-38-39-40-41
32-33-34-35-36-37-38-39-40
33-34-35-36-37-38-39
34-35-36-37-38
35-36-37
Martin Arnold, partition pour Pièce touchée (1989).
Dans Passage à l’acte (1993), séquence prise dand To Kill a Mocking Bird (1962) de Robert Mulligan, une famille américaine est à table. Le garçon se lève, mais il doit revenir à table sur l’ordre du père qui répète mécaniquement « Sit Down ». Il se lève, se rassoit, il se lève, se rassoit. La porte s’ouvre sans cesse. Les mouvements des acteurs deviennent étranges, répétitifs et suspendus. Les battements par à-coups de la porte, les cris cadencés du père, produisent une situation infernale. Le petit-déjeuner en famille tourne à l’hystérie. Les symptômes des personnages provoqués par le montage changent d’un moment à l’autre. Ils semblent tous compulsifs, maniaques. Ils bégaient, sont pris de tics. Arnold s’est construit une machine à bégayer, la tireuse optique. Le dysfonctionnement systématique du projecteur affecte les personnages d’une espèce de virus spasmodique transmis de l’appareil déréglé au sujet. Il révèle une tension extrême entre la matière première et l’expressivité de ces nouveaux montages. La machine bégaie dès qu’elle est mise en marche. Arnold obtient ainsi un résultat en constante tension. À travers ce processus bégayant, Arnold accroît le sens de chaque séquence. Il réveille les idées suggérées par le film, les transforme de manière obsessionnelle et compulsive. Il transforme la relation entre le mari et la femme en danse grotesque, le petit-déjeuner familial en champ de bataille. Il s’attarde sur un claquement de porte pour y déceler l’un des moments de violence de la scène. Les messages sexuels estompés dans les versions originales se manifestent alors de manière explicite.
Martin Arnold, Passage à l’acte (1993).
Le vidéaste utilise un bégaiement hésitant pour faire apparaître le sens caché des séquences stéréotypées du cinéma américain. Il utilise ce système comme grille d’interprétation d’un certain cinéma. Il détourne les films hollywoodiens et dévoile leurs névroses internes. Le bégaiement est employé ici comme système critique et expressif. L’hésitation et la recherche de « stabilité », utilisées dans un contexte linéaire du film hollywoodien, arrivent à rendre cet univers bien plus expressif. Que ce soit chez Gertrude Stein ou Martin Arnold, la répétition fait naître un style, un langage personnel. Dans Critique et Clinique, Gilles Deleuze citant Proust : « Invente dans la langue une nouvelle langue, une langue étrangère en quelque sorte. Elle mettra à jour de nouvelles puissances grammaticales ou syntaxiques. Elle entraînera la langue hors des sillons coutumiers, il faut la faire délirer ». Dans son travail Gertrude Stein utilisait un type de répétition capable de rompre avec les structures et les méthodes littéraires du passé. Elle voulait concevoir un procédé d’expression conforme au mouvement du monde contemporain, un mode de création basé sur la déconstruction syntaxique. Elle faisait éclater la phrase pour aboutir à une forme de poésie presque inaudible et illisible. La déstructuration chez Arnold et chez Stein permet d’explorer de nouveaux domaines, d’étendre la portée du langage.
Martin Arnold, partition pour Pièce touchée (1989).
5 Le bégaiement efficace
A Expériences
Balayer
Souligner trois fois un message important.
Passer trois couches de peinture.
Enfiler trois pulls.
Fermer à double tour une serrure.
Relire plusieurs fois une même phrase.
B Le mouvement additif
Ce mouvement répète plusieurs fois la même action. Ces actions successives évoluent dans une même dynamique. La somme de chaque action implique le résultat général, le mouvement additionne les répétitions.
Mouvement composé de trois actions identiques
C Le rythme successif
Le rythme se compose de deux ou trois impulsions dans le même temps, il est très rapide. Quand on souligne « téléphoner » ou lorsque l’on ferme à clef à triple tour, on le fait en un temps. Ces trois actions enchaînées apparaissent comme une seule impulsion.
D La production d’efficacité
Je souligne trois fois « pommes de terre », tu n’oublieras pas d’en acheter.
Je passe deux couches de peinture, la couleur sera unifiée.
Je donne trois coups de balai, le parquet sera propre.
Je ferme à triple tour, personne ne rentrera.
J’enfile trois pulls, je n’aurai pas froid.
– Optimiser
Répartir son effort, son énergie, permet d’être plus précis. Le coup de balai est léger, rapide, ni trop fort, ni trop faible. Il parcourt d’un seul geste une surface optimale. Chaque action est mesurée pour permettre de modifier la force, le geste et la rapidité du prochain mouvement. En répétant un geste technique simple, maîtrisé, on contrôle l’effet attendu. En très peu de temps, on évalue la force, la vitesse, le geste, la direction, pour un résultat optimal.
E De l’efficacité à la justesse
– L’addition d’éléments
La monture écossaise possède sept hameçons, soit sept fois plus de chance d’accrocher un poisson. Le nombre fait partie d’une logique de l’efficacité, en additionnant, on augmente le potentiel de réussite.
Eugène Vavasseur, Ripolin (1898).
Les trois peintres Ripolin dessinés par Eugène Vavasseur (1863-1949) ont contribué à la renommée de la marque de la peinture émail durant un siècle. La répétition des personnages habillés à l’identique, penchés de la même façon, effectuant le même geste, est là pour convaincre de la qualité de la peinture qui s’applique à tous les supports, résiste aux intempéries, et donne une brillance analogue à la porcelaine. Avec la peinture Ripolin, la couleur sera trois fois plus unifiée. Ici la répétition est proche d’une formule tautologique, comme ce slogan publicitaire pour le cognac en 1971, « Le cognac, c’est le cognac ». La répétition confirme trois fois le pouvoir de la peinture Ripolin. Les trois peintres deviennent un slogan-image, net, concis, amusant, facile à mémoriser. Ils captent l’attention, accrochent le regard, et deviennent un argument de vente, au point qu’aujourd’hui encore l’illustration des trois peintres reste l’image de marque de l’entreprise. L’affiche de Ripolin a inspiré à Couturier, à la fin du XIXe siècle, cette caricature de l’affaire Dreyfus. Les cinq ministres de l’époque copient « Dreyfus est coupable ». Le dernier personnage représentant la justice renchérit : « Dreyfus est innocent, vous êtes cinq menteurs ». La publicité de Ripolin additionne les trois qualités de la peinture pour mieux communiquer la puissance du produit. Couturier utilise cinq mensonges pour avancer un point de vue contraire, l’innocence de Dreyfus.
Couturier, « Ceci couvrira cela », Le sifflet (1898).
– La valorisation
Dans une brochure pour la DS Citroën, la répétition graphique souligne les innovations techniques de la DS (suspension hydropneumatique, traction-avant, système hydraulique) et renforce l’idée de berline, puissante et stable. La répétition valorise la qualité et l’innovation.
Robert Delpire, graphiste, Brochure DS (1967).
– L’orientation du regard
Keith Sanborn, artiste américain, utilise la mise en boucle dans son film The zapruder footage : An investigation of consensual hallucination (1999). Il explore un événement historique médiatique à travers le seul film tourné lors de l’assassinat du Président Kennedy. Le film original est une vidéo d’amateur utilisé comme témoignage d’un fait historique. Keith Sanborn répète plusieurs fois la séquence du passage de la voiture présidentielle. Le premier passage est à la vitesse normale, puis chaque fois que la séquence se répète l’artiste ralentit la bande. Vers la fin du film, l’image est si lente qu’elle parait fixe. La séquence passe ainsi de douze secondes au début à soixante secondes. En ralentissant la bande à chaque passage, l’artiste dévoile des détails cachés de l’assassinat de Kennedy : chaque geste de la foule, la trajectoire de la balle, son impact sur le crâne, le parcours de la giclée de sang, la réaction des gardes du corps, le numéro de douille de la balle. Tous les paramètres de l’action criminelle sont montrés, analysés et expliqués par la répétition progressive du court extrait de film qui devient une enquête sur le lieu et le moment du meurtre. Keith Sanborn transforme une vidéo témoin du meurtre, en une véritable enquête policière. L’artiste utilise la répétition comme révélation du crime. Une seule projection du film à vitesse normale ne communique que le fait historique : le meurtre de Kennedy. L’efficacité de la répétition est utilisée par l’artiste pour faire découvrir tout le potentiel d’une enquête et analyser le médium film. Le bégaiement de Keith Sandborn se veut une observation méthodique, une étude logique, contrairement à celui de Martin Arnold qui se veut provocateur, émotionnel et affectif.
– L’intensification du discours
Un processus similaire est utilisé par Steve Reich, musicien contemporain américain, dans It’s gonna rain (1965). Le sermon d’un prêcheur noir américain, Frère Walter, est enregistré sur une bande et sa voix mise en boucle. L’incessante répétition ne fait pas disparaître le sens du discours du Frère Walter mais au contraire, intensifie la mélodie et la signification du discours. Reich a su par ce procédé faire ressortir les qualités musicales de la voix.
– La recherche du geste juste
Trisha Brown, sans titre, encre sur papier (1994).
« Répéter le même dessin jusqu’à obtenir la meilleure forme, est utilisé comme un moyen d’arriver à la perfection de l’expression. Comme au théâtre ou la danse, l’apprentissage du texte et du rôle se fait en répétant. Les premiers essais fonctionnent bien, mais il y a toujours des erreurs dans l’exécution, en répétant, on apporte des variantes qui amènent quelque chose de parfait* ». Trisha Brown, danseuse et chorégraphe américaine, a beaucoup travaillé sur l’improvisation, la rigueur géométrique et la fluidité. Elle a passé quarante ans de sa vie à chercher « ce qu’est la danse, le geste juste ». Dans les années 1970, elle commence à s’intéresser à la dialectique de l’ordre et du désordre et aux structures logiques, comme les chiffres ou l’alphabet. Elle tient un carnet de croquis qui lui permet à la fois de garder trace d’une chorégraphie et d’amener une réflexion visuelle sur un concept, ou de rechercher des informations sur la forme que doivent prendre ses chorégraphies. Dans cette série de dessins de 1994, elle traite le geste graphique en tant que geste de danse, et l’espace de la feuille en tant qu’espace scénique. Comme dans la danse, elle répète sans cesse une forme. À chaque essai, elle apporte quelques variantes dans la dimension et le rapport entre les formes. Elle s’arrête quand elle arrive à une forme parfaite, mais quand elle pense être parvenue à ses fins, elle s’aperçoit qu’apparaît l’ennui. Elle essaie alors d’apporter un souffle nouveau, dynamique, elle ferme les yeux et continue de répéter la même forme. Elle dessine rapidement et au fil des dessins obtient quelque chose de différent du dessin de départ. Selon Trisha Brown, « il faut d’abord bien exécuter le motif pour savoir si on l’aime, puis le revisiter de manière à découvrir quelque chose de nouveau sur la feuille et sur soi ». Elle utilise un type de bégaiement pour combiner l’aléatoire et le défini. Elle répète des figures géométriques, des chiffres, des lettres et des lignes en improvisant et en allant très vite. Comme le poète Ghérasim Luca, elle déconstruit et recompose. Ce système favorise l’improvisation et permet à Brown de perdre le contrôle de ses idées, de défier l’ordre, de bouleverser l’habitude. Ce bégaiement est pratiqué à des fins d’exploration et de création.
* Trisha Brown, Danse, précis de liberté, Paris, Musée de Marseille-R.M.N., 1998
Trisha Brown Dance Company, El trilogy (2000).
6 La répétition impulsive
A Expériences
Le stroboscope dans une boîte de nuit.
Le clignement de l’œil.
La lampe mal réglée.
B Le mouvement impulsif
Ça palpite, sursaute, tremble, sautille, hoquette. Des décharges toniques explosent par soubresauts. Tous les coups paraissent vifs, furtifs, concentrés. Le mouvement est une alternance d’éclairs et de temps morts. Nous sommes dans un système qui clignote irrégulièrement. Les secousses et les contractions du mouvement sont imprévisibles.
C Le rythme aléatoire
Le rythme est frénétique, très rapide. Sa fréquence irrégulière. C’est une succession de temps morts et d’actions rapides. La pulsion rythmique paraît saccadée et semble aléatoire.
D L’évacuation d’énergie
Telle une soupape de sécurité, des fragments d’énergie sont volontairement évacués. Après une suite d’expulsions, suivent un temps de repos très court et une nouvelle série de rejets. L’excès d’énergie n’a pas trouvé d’usage. Dans un bégaiement productif, l’explosion énergétique amène un résultat. Ici, l’énergie s’évapore. La suite de chocs s’agite, explose de manière subite. Les tics sont des spasmes volontaires du corps qui décide d’évacuer l’excès d’énergie (la nervosité). Le bégaiement convulsif touche à l’émotionnel. Il affole, agite, secoue, saisit. Le rythme et la fréquence sont très denses. Il est difficile de rester indifférent face à un bégaiement convulsif, son rythme perturbe l’environnement immédiat.
E De la pulsion mécanique à la pulsion numérique
– La pulsion de l’image photo-chimique
Au moyen de couleurs et de formes, les films de Paul Sharits (1943-1993), vidéaste américain, chorégraphient l’énergie. Sharits cherche à mettre en valeur la différence entre chaque photogramme d’un film afin que leur portée atteigne la rétine au maximum. Dans N :O :T :H :I :N :G (1968), il n’utilise que des photogrammes colorés, sans images. À chaque photogramme la couleur peut changer, ce qui crée un effet dynamique et génère de nouvelles formes visuelles.
Paul Sharits, T.O.U.C.H.I.N.G. (1968).
Dans T.O.U.C.H.I.N.G. (1968), sont insérées des images en alternance avec des photogrammes colorés. Sa préoccupation concerne la dynamique des impulsions qui agitent les figures. Il crée une dynamique clignotante et entraîne le spectateur vers une situation extrême, comme un état pré-épileptique. Ces films jouent sur des vibrations sonores, des éclairs lumineux (clarté et obscurité) ; des énergies très ponctuelles en somme. Sharits déclare : « Normalement le cinéma présente une image stable du monde. Je sais que le monde n’est pas stable, je sais qu’il est fait de particules atomiques et de forces dynamiques. Dans mon œuvre ce qui m’intéresse, c’est d’amplifier les éléments cachés d’un film et de suspendre la suspension*. » Dans la partition du film Analytical Studies 1 (1972-1976), on voit l’alternance des photogrammes colorés et des images, ainsi que le rythme impulsif.
* Jean-Claude Lebensztejn, Écrits sur l’art réc Sharits, Paris, Aldines, 1995, p. 194.
Paul Sharits, partition d’Analytical Studies 1 (1972-1976).
– La pulsion de l’électro-digital
Dans Black and Light (1974), Pierre Rovère (*1953), vidéaste français, perfore directement le ruban de la pellicule de cinéma. Les trous laissent échapper l’énergie lumineuse du projecteur. Avec ce film, Pierre Rovère a su faire le lien entre le cinéma de l’image photo-chimique et le monde de l’électro-digital, entre l’art du monde mécanique et celui du numérique. Black and light a été réalisé entièrement par ordinateur, un programme perforant une bande informatique. Ce procédé permit à Rovère de projeter l’image cinématographique d’un « langage » informatique. Un langage primitif, basé sur les formes géométriques, sur l’opposition de valeurs (noir/blanc), sur l’expulsion et l’impulsion énergétique.
Pierre Rovère, Black and Light (1974).
Nous retrouvons un principe similaire dans le codage de la langue morse ; une succession de pulsions énergétiques. Le morse utilise des points (« dot » en Anglais, « dit » en phonétique) et des traits (« dash » en anglais, « dah » en phonétique). Cet ensemble de points et de traits permet la représentation des lettres de l’alphabet latin, des chiffres et de la ponctuation. Le bégaiement à travers le morse devient un véritable langage : dahditditdit dit dahdahdit didah ditdit dit dahdah dit dah.
Alphabet morse
– L’impulsion mécanique
À la fin du XVIIIe siècle, Joseph Marie Jacquard (1752-1834), mécanicien et inventeur français, remarque que le tissage de motifs complexes est toujours répétitif. Son idée est d’utiliser des cartes perforées pour inscrire un programme. Le principe : une commande est représentée par un ou plusieurs trous dans un support résistant. Chaque trou a une signification précise selon son emplacement, ainsi chaque commande est codée. Le support est une bande de carton souvent bouclée sur elle-même. Pour reconnaître successivement les commandes, la bande défile devant un dispositif de lecture qui peut être :
– mécanique : une pointe tombe dans un trou situé à un emplacement précis (et ceci à un moment précis) ; le mouvement de la pointe actionne la commande ainsi sélectionnée.
– pneumatique : le trou permet à l’air sous pression d’agir sur la commande (système utilisé pour l’orgue de barbarie).
– électrique : un contact est établi à un emplacement et à un moment précis, le courant électrique actionne la commande à l’aide d’un électro-aimant.
Sur un métier à tisser, les cartes passent sous un ensemble de tiges métalliques (fiches) : si la fiche ne rencontre pas de trous (zéro), rien ne se passe ; s’il y a un trou (un) la fiche passe à travers et sépare les fils de chaîne afin d’orienter le passage du fil de trame. Auparavant, il fallait obligatoirement teindre, imprimer et broder pour embellir les tissus. Le processus de Jacquard permit au XIXe siècle d’industrialiser le secteur textile, et de faciliter le tissage de motifs complexes et colorés. L’automatisation par carte perforée permet d’enregistrer dans une mémoire une suite de commandes spécifiques à un travail mécanique, puis de relire automatiquement cette suite de commandes.
Carte perforée en bois pour métier Jacquard (vers 1800).
La carte perforée code l’information par des trous et permet de mémoriser la masse des informations à traiter. Elle est principalement utilisée de 1890 à 1935 pour les travaux statistiques, puis à partir de 1935 pour tous les travaux administratifs et de gestion. Elle sera largement utilisée par les ordinateurs jusqu’à la fin des années 1970. La carte perforée utilise un codage binaire, fondement du langage numérique.
Exemple de carte perforée standard à 80 colonnes IBM (1960).
– Le langage informatique
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L’énergie « par impulsion » est la base du langage informatique. Vers la fin des années 1930, Claude Shannon, Elwood (*1916) ingénieur et mathématicien américaindémontra qu’à l’aide de « contacteurs » (interrupteurs) fermés et ouverts, on pouvait effectuer des opérations logiques en associant le nombre « 1 » pour « vrai » et « 0 » pour « faux ». Ce langage est nommé langage binaire. C’est avec ce langage que fonctionnent les ordinateurs. Il permet d’utiliser deux chiffres 0 et 1. Le bit (0 ou 1) qui signifie binary digit est la plus petite unité élémentaire d’information manipulable par une machine. On peut représenter le bit physiquement ; par une impulsion électrique, lorsqu’elle atteint une certaine valeur, elle correspond à 1 ; par des trous dans une surface (carte perforée) ; grâce à des composants qui ont deux états d’équilibre (un correspondant à l’état 1, l’autre à 0). Ce codage permet le calcul et le stockage de données très complexes. La structure binaire semble bégayante car elle utilise une répétition qui comporte de la variation. Ce système bégayant permet la combinaison, le codage, l’échange d’information. C’est un langage qui dévoile un autre langage et permet la communication avec les machines numériques et mécaniques. La répétition impulsive base de ce bégaiement devient un code, une donnée, un langage. Elle permet d’organiser, d’orienter, une production ou une réflexion.
Répétition générale
Notre société, fondée principalement sur des valeurs qui privilégient la réussite, le résultat immédiat, la norme, l’instantanéité, en bref, qui s’appuient sur des systèmes sans failles ; perçoit l’hésitation, la prolongation, le blocage comme autant de formes de handicap. Le bégaiement y est considéré comme un langage anormal, étranger. Mais comme toute forme de langage, il n’est pas seulement un moyen pour désigner des objets ou traduire des sentiments, il relève aussi de la traduction d’un processus de pensée. Les systèmes syntaxiques et grammaticaux d’une langue reflètent la structure et les caractéristiques mentales d’une communauté ou d’un peuple. Par exemple, la langue française permet plus facilement de se livrer, elle facilite l’effusion et l’expression de sentiments profonds. La langue anglaise inciterait au contraire à davantage de réserve, à maîtriser ses impulsions, à éviter l’emphase. Chaque langage décrit le monde d’une manière qui lui est propre. Tel que nous l’avons défini, le bégaiement-handicap produit un langage maladroit, instable, et incontrôlé. Il peut créer un univers comique, voire burlesque, et par la répétition, induit une idée d’infini. Le bégaiement-déclencheur serait un langage impulsif, dynamique, permettant la naissance d’une idée. Il est instinctif et créateur. Le bégaiement-structurant serait plus normé, prévisible et rigoureux. Il s’agit d’un langage déductif dont la logique peut se maîtriser. Bien que construite sur un système rationnel, cette forme de bégaiement peut agir sur l’inconscient et engendrer des processus plus ou moins aléatoires. Le bégaiement-efficace serait plus affirmatif ou autoritaire. Les enchaînements systématiques induisent ici conviction et domination. Le bégaiement-hésitant serait toujours à la recherche d’un équilibre. Contrôlant ses premières impulsions, il se donne le temps de trouver le mot juste. Le bégaiement-impulsif correspondrait à une forme de langage plus primitif. En combinant peu de signes, il permet le codage de données, mais n’est pas appréhensible en dehors de ces codes.
Toutes ces formes de bégaiement se construisent sur des langages pré-existants dont elles déforment le vocabulaire, la grammaire ou la syntaxe. Une structure identique est par exemple à l’origine du pidgin et du créole, basés sur le français, l’anglais, ou l’espagnol. Ces langues simplifiées emploient un vocabulaire restreint et s’affranchissent de certaines complications grammaticales des langues d’origine. Aujourd’hui, ces langues, nées de la colonisation, sont empreintes de la culture de ces peuples.
Pour des artistes comme Ghérasim Luca, Gertrude Stein, Trisha Brown ou Martin Arnold, le bégaiement devient un processus créatif. En s’appuyant sur différentes formes de bégaiement, ces auteurs déstructurent une phrase, un mot, un tracé, un geste ou une séquence vidéo, pour les réorganiser dans un ordre différent. Ils remettent en cause les formes existantes en les fragmentant. Les nouvelles structures, souvent aléatoires, définissent des systèmes qui font généralement abstraction des contraintes et des normes. Ils apportent un potentiel d’inconnu qui serait resté sinon inaccessible. On pourrait dire que les expériences scientifiques procèdent aussi par tâtonnement, naissent de situations de déséquilibre ou d’échecs successifs, mais n’en gardent et n’en communiquent que le résultat.
Il est beaucoup plus difficile d’admettre le ratage, le décalage, l’hésitation ou la différence comme une source possible de rentabilité au sein d’une production industrielle. Les variations sur une chaîne automobile par exemple, se limitent à l’ajout d’options, à des chan- gements de couleurs ou de puissance du moteur. Aucune place n’est laissée aujourd’hui à une quelconque forme de dérive. Sur une chaîne de montage automobile, ces légères variations sont gérées par l’informatique. Produire quotidiennement des centaines de véhicules singulariés requiert une organisation complexe. Chez Citroën par exemple, le logiciel informatique « Spot/Argos » chaque voiture semble différente à la sortie de la chaîne de montage malgré un processus d’assemblage identique.
Le designer italien Gaetano Pesce (*1939) reconnaît aussi l’importance de l’aléatoire dans le processus de création et de fabrication. Il oppose à la série standardisée l’idée d’une série industrielle diversifiée, plurielle. Il joue avec les matériaux et les processus de fabrication afin de reproduire en série des formes complexes et non-répétitives. L’atelier de design et d’architecture numérique Objectile développe tous les outils numériques nécessaires à la conception et à la fabri- cation industrielle d’objets non-standardisés. Conçus par le calcul, ces objets aux courbures complexes prennent des formes variables en fonction des paramètres qui les déterminent. La génération automatique de leur programme d’usinage sur des machines à commandes numériques permet d’envisager des séries d’objets qui bien qu’industriels, sont tous différents. Un principe qui relève d’une forme de bégaiement peut servir de point de départ à l’élaboration d’un processus réflexif ou d’un système constructif. À partir d’un fragment, d’un détail, d’un mot, le bégaiement peut déboucher sur des structures complexes. Combinant et mani- pulant les signes et les références, le langage bégayant ne cesse de dériver. Le système créé devient mobile, fluctuant, perpétuellement en mouvement. Réactif à tout élément extérieur, il fonctionnerait à la manière d’un circuit imprimé, où un élément étranger vient stimuler un court-circuit. Le système accepte donc les défauts et une dimension aléatoire. Le système bégayant se définit alors comme une série de réactions en chaîne. Par le glissement constant d’un niveau de référence vers un autre, le processus ignore ce qu’il va produire. C’est un processus infini auquel on ne met un terme qu’en prenant la décision de s’en extraire !
Bibliographie
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Filmogrphie
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Sangla (R.), Comment s’en sortir sans sortir, video, 55 min, Arte, CDN, FR3, France, 1989.
Merci,
Pierre Leguillon, Charlot, Etienne-Jules Marey, Nani Peiffert, Philip Glass, Cassandre, Claude naugaro, Christian Barani, Dupond et dupont, Philippe Comte, Steve Reich, Christophe Gaubert, Buster Keaton, Simon Gerbaud, Françoise Hugont, Joël Hurter, Gilles Deleuze, Emmanuelle Schluck, Mathieu Lehanneur, Daniel Kula, Martin arnold, Siegfried Giedion, Babeth Jubert, Trisha Brown, Nicole Marchand, Raymonde Peiffert, Peter Land, Henri Bergson, Françoise Courbis, Fredéric Ruyant, Françoise Fronty-gilles, Fokke Draaijer, Yann Beauvais, Miles McKane, David Dubois, Bourvil, Light cone, Gherasim Luca, Monnique schluck, Pierre Rovère, Christophe Girardet, Maman Peiffert, Keith Sandborn, Vincent Cuzin, Alexandre Tonneau, Terry Riley, Raymond Roussel, Robert Desnos, Jean-Luc Godard, Philippe Paumier, Aude Verries, Joseph Albers, Gertrude Stein, Eugène Vasseur, Robert Delpire.
La taca taca tique du bégaiement
Rodolphe Dogniaux
Mémoire suivi par Pierre Leguillon E.N.S.C.I. Les Ateliers, février 2002